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Exploitation minière au Sud-Kivu, un pillage à ciel ouvert

La situation sécuritaire en RDC et dans la région des Grands Lacs aura retenu l’attention de la communauté internationale ces deux dernières décennies, en témoigne la présence de la mission de maintien de la paix des Nations Unies (Monusco) qui vient de totaliser 25 ans sur le territoire congolais, l’une de plus grande mission de paix que l’Humanité ait jamais connues.

Si les ressources minières de la RDC restent un atout pour le développement de nouvelles technologies et la transition énergétique en cours au niveau international ; il serait plus équitable et même plus profitable pour tous que l’exploitation de ces ressources soit aussi une opportunité économique pour les communautés du pays et non qu’elle continue de se développer en charriant avec elle le syndrome de la « malédiction des ressources naturelles ».
Les médias du Sud-Kivu ont commenté de diverses manières le feuilleton d’opérateurs miniers de nationalité chinoise accusés d’exploitation illégale de l’or dans le carré minier de Tubimbi, chefferie de Ngweshe, territoire de Walungu à environ 70 km à l’ouest de la ville de Bukavu. Arrêtés en date du 19 décembre 2024 par les services de l’ordre, 17 sujets chinois ont été rapatriés dans leur pays sur ordre des autorités de Kinshasa.

Quelques semaines plus tard, soit le 4 janvier 2025, ce sont 3 autres étrangers de la même nationalité qui sont interceptés par les services de sécurité de la province avec 10 lingots d’or et 400 mille dollars. Ces opérateurs miniers sont présentés au public au cours d’une conférence de presse animée par le gouverneur de province, Jean-Jacques Purusi Sadiki. Cette dernière arrestation de fraudeurs de minerais soulève un tollé général au sein de l’opinion. Face à ce nouvel épisode, la coordination de la société civile a organisé une manifestation contre le pillage délibéré des ressources minières à travers les territoires de la province.

Mercredi 8 janvier dans la matinée, les acteurs de la société civile dans sa diversité ont mobilisé les forces vives à partir de la place Mgr Christophe Munzihirwa jusqu’au cabinet du gouverneur de province. Un mémorandum adressé au président de la République est lu par Maitre Nene Bintu, présidente de la société civile du Sud-Kivu. Elle s’exprime en ces termes : « Les minerais sont épuisables et vous devez vous impliquer pour doter le pays d’une politique de gestion seine de nos ressources naturelles au profit de générations présentes et futures. Excellence, monsieur le président de la République, ce scandale de fraude minière se déroule pendant que la Nation congolaise est agressée par le Rwanda dont les forces de défense sont présentes sur notre sol, en appui au M23 depuis novembre 2021. En vue de prouver au monde la colère des Sud-Kivutiens face aux attitudes belliqueuses du Rwanda, un sit-in sera organisé pendant 3 jours, à partir de jeudi 9 janvier au niveau de nos frontières avec le Rwanda pour dire non à la guerre et exiger le retrait de troupes rwandaises de la RDC ».

Certains manifestants en majorité des jeunes disent non à l’exploitation illicite des minerais du Sud-Kivu et demandent à Kinshasa d’y retirer sa main. Ils poursuivent en insistant sur l’influence négative que Kinshasa exerce sur la Province. D’autres estiment que l’insécurité devient aujourd’hui une stratégie pour pousser les populations à quitter leurs terres afin que les étrangers exploitent calmement. Ainsi, les opérateurs chinois occupent des terres sous protection des militaires FARDC. Ces derniers se présentent sous différentes casquettes, notamment entrepreneurs dans le domaine des infrastructures, touristes, etc…

Dans un rapport consacré aux ressources naturelles, l’USAID reconnait que les normes officielles du secteur minier congolais ne sont pas respectées par les sociétés minières semi-industrielles. Au lieu de consulter les acteurs locaux avant d’entamer leurs opérations d’extraction, ces sociétés ont recours à des réseaux opaques impliquant les autorités étatiques, coutumières et militaires. Ce processus leur permet de militariser les sites d’extraction de l’or, de solliciter le soutien des autorités locales et de contourner les exigences officielles en matière d’indemnisation des communautés locales.

A ce sujet, Mgr Sébastien Muyengo, Evêque d’Uvira dans son livre intitulé « Au pays de l’or, du sang et de larmes », stigmatise le fait que les larmes, l’or et le sang, tout cela se tient ; c’est l’expression de toutes les souffrances de nos populations vivant ici : tous ces jeunes qui sont en train de perdre leurs vies, toutes ces ressources naturelles (minerais, bois), qui sortent de nos terres, eaux et forêts et qui vont développer les pays des autres. Ecoutez-moi bien, c’est avec vos richesses d’ici qu’on construit des routes ailleurs, chez certains de nos voisins.
Face à ce tableau sombre, l’espoir est encore permis lorsqu’on interroge les textes et loi réglementant le secteur minier. En effet, la réforme de 2018 a introduit un partage de la redevance entre l’Etat congolais et les entités infranationales ; au terme de ces réformes, l’Etat central garde 50% ; la province où se situe le projet minier reçoit 25% tandis que l’entité territoriale décentralisée bénéficie de 15% et le solde de 10% est réservé au fonds minier pour les générations futures. Ce partage de la redevance minière ainsi que la dotation de 0,3% du chiffre pour financer les projets de développement constitue une opportunité pour les communautés d’obtenir une compensation en termes de projets communautaires mais d’autre part cette opportunité induit en elle-même des germes d’un nouveau type de conflits entre les communautés et les dirigeants de base bénéficiaires de la redevance minière.

En définitive, les minerais étant des ressources communes, ils devraient être exploités dans l’intérêt de la communauté et des générations futures par une gestion responsable de la rente (Bashizi et Geenen 2014 : 242-244). Le développement endogène durable implique, en effet, une action de masse pour la masse (Pius 2015 : 649). Il est donc impérieux que l’exploitation de minerais soit mécanisée en RDC pour permettre à l’Etat d’en assurer un contrôle efficace et d’en tirer profit.

Par Bernardin SEBAHIRE

Chercheur-Journaliste